Le fonctionnement de toute entreprise est l’objet de conflits de pouvoir car il repose, en interne, sur des individus et des groupes qui ont des objectifs propres et rarement tout à fait concordants et, en externe, sur les agents économiques de son environnement qui agissent en fonction de leurs propres objectifs.
La nature des relations qui se nouent entre les acteurs au sein de l’entreprise et avec les partenaires extérieurs influence de façon déterminante le mode de gouvernance de celle-ci. Le dirigeant doit en permanence arbitrer entre les attentes des différentes parties prenantes qui peuvent constituer autant de contre-pouvoirs.
I. L’entreprise : un système ouvert sur l’environnement
Dirigeants et salariés assurent le fonctionnement de l’organisation et ses relations avec les agents économiques de son environnement : consommateurs, clients, fournisseurs, actionnaires, administrations, groupements professionnels, etc. Ce réseau de pouvoirs et de contre-pouvoirs s’exprime dans des négociations et se traduit par un ensemble de contraintes et d’opportunités pour l’entreprise qui pèsent sur le processus de décision.
Les parties prenantes désignent tout groupe influencé plus ou moins directement par les décisions de l’entreprise. La gouvernance constitue un mode d’arbitrage entre les intérêts contradictoires des différentes parties prenantes, internes et externes à l’entreprise, et sources éventuelles de contre-pouvoirs.
II. Les parties prenantes internes
L’entreprise est traversée par des relations de pouvoir. Dans leur ouvrage A behavioral theory ofthefirm (1963), R. Cyert et J. March notent que l’entreprise est « un groupe de participants aux demandes disparates » bien que tous aient in fine intérêt à la bonne marche de celle-ci. Il se forme donc des coalitions d’individus ayant des buts différents. Les coalitions doivent négocier entre elles et ceci conduit aux prises de décision. Les objectifs poursuivis par l’entreprise ne seront donc pas rationnels, mais représenteront le meilleur compromis possible entre les objectifs de ces diverses coalitions de salariés.
Pour éclairer le jeu de pouvoirs et de contre-pouvoirs dans l’entreprise, le sociologie français Michel Crozier montre que, dans l’entreprise, le pouvoir n’est pas une chose que certains ont et d’autres pas : tout le monde peut avoir du pouvoir, c’est-à-dire être acteur. Le pouvoir est le produit de relations, de négociations et de confrontations dont l’issue reste incertaine.
L’expression « parties prenantes internes » fait, en outre, référence à la volonté de chacun des acteurs de bénéficier d’une fraction de la valeur ajoutée produite par l’entreprise.
A. Les salariés et leurs représentants
Les salariés constituent la part la plus importante des parties prenantes internes tant en termes de répartition de la valeur ajoutée à travers les salaires et la participation aux résultats de l’entreprise, qu’en termes stratégiques, car ils représentent le capital humain essentiel à son activité et à son développement.
Ils constituent, de fait, un contre-pouvoir puisque les objectifs de l’entreprise ne peuvent être atteints sans leur participation active alors même que leurs objectifs personnels divergent parfois des objectifs communs.
Les enjeux liés aux intérêts des salariés sont importants pour l’entreprise tant en termes financiers qu’en termes stratégiques. Pour défendre leurs intérêts, les salariés s’appuient sur :
- les délégués du personnel, qui, dans tous les établissements de plus de 10salariés, transmettent les revendications individuelles et collectives des salariés aux dirigeants ;
- le comité d’entreprise, obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés, qui permet aux salariés d’être informés et assure leur participation à la gestion de l’entreprise ;
- les syndicats, qui, selon les termes du Code du travail, sont seuls habilités à représenter les salariés dans le cadre des négociations collectives des conditions générales de travail.
B. La gouvernance interne
L’entrepreneur, les dirigeants, les associés et les actionnaires sont également des parties prenantes internes de l’entreprise et prélèvent, dans des conditions souvent privilégiées, une partie de la richesse créée par celle-ci.
1. La gouvernance de l’entreprise
Lorsque l’entrepreneur est l’unique ou le principal propriétaire de l’entreprise, les problèmes de gouvernance entre actionnaires et dirigeants n’existent pas. Mais lorsque, dans une société de capitaux, il y a séparation entre propriétaires et dirigeants salariés, se pose la question de la pratique du pouvoir compte tenu des divergences d’intérêts qui peuvent exister entre eux.
En effet, les actionnaires attendent une rémunération des capitaux investis à travers la distribution des bénéfices sous forme de dividendes. Les dirigeants tendent à privilégier le développement de l’entreprise en réalisant des investissements ou en constituant des réserves qui, dans un premier temps, limitent la rentabilité des capitaux investis. Le gouvernement d’entreprise désigne alors « l’ensemble des mécanismes organisationnels et de marché pour contrôler l’exercice du pouvoir tant en termes de performances économiques que de responsabilité sociale » (J.-L. Charron et S. Sépari, Management, Dunod, 2007).
On distingue les modèles de gouvernance managériale, qui laissent aux dirigeants la plus grande part du pouvoir (lorsque l’actionnariat est très dispersé, par exemple), et les modèles de gouvernance actionnariat, qui traduisent l’exercice du pouvoir des actionnaires en termes de contrôle direct de l’entreprise (révocation des dirigeants, etc.) et s’imposent depuis les années 1980.
2. Les enjeux liés aux intérêts des actionnaires
Les actionnaires exercent alors leur contre-pouvoir à travers la gouvernance d’entreprise. À ce titre, au sein des assemblées générales et des conseils d’administration, ils suivent les nominations des dirigeants, leur rémunération, l’orientation stratégique de l’organisation, sa politique d’endettement, etc. Ils peuvent également faire pression sur les dirigeants en vendant leurs titres sur le marché financier, ce qui entraîne une baisse des cours et fragilise la position des dirigeants. Ceux-ci devront donc exercer leur pouvoir de gestion en tenant compte du contre-pouvoir des actionnaires et en assurant une rentabilité minimale des capitaux pour satisfaire à leurs exigences.
III. Les parties prenantes externes
A. Consommateurs, clients et fournisseurs
L’objectif de l’entreprise est de réaliser des profits. Plus les prix de vente aux consommateurs sont élevés alors que les prix d’achat des matières premières sont bas, plus le profit sera important. L’intérêt des consommateurs n’est donc pas forcément celui de l’entreprise. Depuis quarante ans, la loi protège le consommateur contre le risque d’exploitation des entreprises puissantes et mieux informées. Les associations de consommateurs se sont également développées grâce à une communication multimédia pertinente (magazines, télévision, Internet, etc.) et exercent un contre-pouvoir puissant en s’appuyant sur l’opinion publique.
Les clients sont, à travers la concurrence, les prix et le chiffre d’affaires, à l’origine même de la valeur ajoutée. La gestion de la relation client place donc la satisfaction de celui-ci au cœur des objectifs de l’entreprise.
L’entreprise négocie auprès de ses fournisseurs les achats des matières premières, d’autres approvisionnements, services, etc., qui rentrent dans le processus de production. Ainsi, bien qu’ils ne participent pas à la répartition de la valeur ajoutée, les fournisseurs influencent directement sa création.
Les banquiers, qui assurent le financement de l’activité, reçoivent, quant à eux, une part de la valeur ajoutée à travers les intérêts et les agios qui leur sont versés en fonction du niveau d’endettement de l’entreprise.
B. Les acteurs de la société civile
L’État et les administrations prélèvent, de manière autoritaire et sans négociations, une part de la valeur ajoutée en impôts, taxes et diverses cotisations. Mais c’est au travers des lois et des règlements qu’ils exercent une contrainte collective et donc un contre-pouvoir.
En outre, depuis quelques années, la société civile impose à l’entreprise d’être socialement responsable, c’est-à-dire de se soucier de sa rentabilité et de sa croissance, mais également de ses impacts environnementaux et sociaux. Ces contraintes sont relayées par les salariés, les consommateurs et les ONG, qui exercent leurs contre-pouvoirs en influençant l’image de l’entreprise, appuyées par les médias.